Le Bic, un village et un parc

Le Bic, un village et un parc

Le français en aurait peut-être souffert

        Au fil de mes randonnées dans le parc du Bic, je m'égare souvent dans mes solitudes. Ainsi, d'un souvenir de jeunesse, de la géométrie d'un nuage ou de la forme d'un rocher je peux parcourir des kilomètres, changer de siècle, transformer les choses, broder des phantasmes ou changer le cours de l'histoire sans casque virtuel ni machine infernale. Tout se passe dans ma tête; j'imagine, je rêve et je transpose. Ainsi, ce matin, en arrivant à la ferme Rioux, juste avant d'emprunter le chemin du nord pour me diriger vers les anses, j'ai revu la barrière. Oui! Oui! La barrière.

        Bien avant qu'on commence à parler de construire un parc à cet endroit, mes camarades et moi venions faire des excursions estivales dans ce secteur. Les Rioux occupaient encore la ferme ancestrale et vaquaient à leurs activités quotidiennes. Les robes, les tabliers et les chemises s'agitaient sur la corde à linge devant la maison et les vaches broutaient paisiblement dans le pré derrière la grange. Les Lyman, de leur côté, venaient toujours passer l'été à leur villa près du cap à l'orignal. Ils profitaient de la tranquillité des lieux tout en se gavant de la beauté du paysage.

       En arrivant face à la barrière qui interdisait l'accès à la propriété des Lyman, une pancarte. Bien en vue, accrochée à la clôture et rédigée avec des caractères peu invitants et sans équivoque. Indubitablement, elle attirait notre attention. Deux mots, seulement deux mots sur l'écriteau: "NO TRESPASSING". Bien que notre connaissance de la langue anglaise fusse très limitée, les termes n'inspiraient aucune confiance. Passer, trépasser ou "what ever", nous n'étions pas les bienvenus. La vue de ce terrible ultimatum mettait un terme à notre progression et nos excursions s'arrêtaient à cet endroit.



        Quarante ans, un peu plus même, se sont écoulés, depuis ces safaris d'adolescents. Entretemps, en 1984, le parc national du Bic a été créé avec ses belles affiches explicatives, arborant les couleurs ministérielles et toutes rédigées en français. Bien sûr, Il y a toujours des barrières. Cependant elles sont franchissables et la beauté des attraits qu'elles abritent les rendent invitantes.

        Mes questionnements, ce matin, portent sur ce que serait devenu ce territoire si le parc n'avait été créé. Aurions nous encore droit à ce genre d'affiches? Probablement qu'on aurait francisé et remplacé le texte avec des formules comme: "DÉFENSE DE PASSER", "GARE AU CHIEN" ou "PASSAGE INTERDIT"? L'accès serait toujours limité, mais au moins, on lirait du français.

        Un second scénario m'apparaît aussi plausible. Le nombre de chalets et de résidences ayant probablement quadruplé ou quintuplé. Il ne fait aucun doute que dans le souci de préserver son intimité, chaque propriétaire aurait affiché ses mises-en-garde. Tantôt fixées à l'extrémité d'un piquet ou suspendues à une clôture mais placées bien en évidence, sur une grande affiche, pour qu'on puisse les lire: "PRIVÉ", "INTERDIT" ou "DÉFENSE DE STATIONNER".  Nous serions ainsi réduits à suivre le chemin et se retourner sur un trente sous en se rivant le nez à un garde fou arborant l'inscription "FIN DU CHEMIN". On lirait toujours du français mais on regarderait la baie des Ha! Ha! et l'île aux amours entre les bâtiments ou en s'étirant le cou par dessus les haies et les toits des voitures. On ne connaîtrait même pas l'anse à mouille-cul, la fourche à Louison ou la maison Feindell.

        Enfin, dans le pire des cas, à la place de cette affiche anglophone qu'on apercevait à l'époque,  on aurait pu estropier la langue française en barbouillant des énormités comme :  "PROPRIÉTÉ PRIVÉ",  "TERRAIN PRIVER", "DÉFENSE DE PASSÉ". Ouf! même s'il était écrit "BIENVENU" ça ne serait pas invitant. Dans ce cas, pas d'accès et encore moins de français.

        Je me suis encore égaré dans une solitude, il faudrait bien que je me corrige de ça un jour. Maintenant, je dois me presser, il me reste quinze minutes à peine pour aller assister au lever du soleil dans l'anse à voilier. J'ai tout juste le temps de m'y rendre.



Anse à voilier, 20 août 2011. - "Les efforts d'un lever matinal sont souvent récompensés"



13/08/2011
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